Histoire de la classification des espèces

La classification des espèces, histoire et évolution

Aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps, l’humain a exprimé l’utilité de nommer, classer par ordres et espèces les organismes vivants composant son environnement naturel.
Voyons comment, au fil du temps, la classification du vivant a évolué grâce aux différents mouvements de pensée ainsi qu’au développement des technologies.

De l’Antiquité au Moyen-âge : la classification à but utilitaire

Bien avant la nomination scientifique, la classification des espèces était fondée sur des critères d’observation simples selon la morphologie ou les utilisations spécifiques de chaque organisme. L’humain aurait regroupé les plantes en se basant sur des concepts descriptifs tels que leur usage potentiel, leur allure générale ou bien leur milieu écologique. L’homme savait ainsi que telle espèce donnait des fruits, une autre de la teinture, d’autres du bois pour des objets du quotidien. Pour les espèces animales, la classification était fondée sur des critères tout aussi simples comme l’apparence, les mœurs supposés, les cris, etc. Ainsi, en procédant par extension ou assimilation, l’être humain a donné une base aux noms scientifiques.

Lors de l’Antiquité, Aristote (384-322 av. JC) classe les « êtres vivants » en règne minéral, végétal, animal et humain. Ce dernier, à l’extérieur du monde animal, est considéré comme l’être vivant le plus complexe après les divinités.

Théophraste (372-287 av. JC), disciple d’Aristote, est le premier botaniste reconnu. En examinant les relations entre les espèces végétales et en proposant des techniques pour les regrouper, il établit une liste d’environ 500 plantes classées selon un système basé sur leur morphologie florale.
Au cours du premier siècle de notre ère, Pline l’Ancien (23-79 ap. J C) décrit dans le Naturalis Historia les différentes espèces animales et végétales connues jusqu’à présent et Dioscoride (environ 25-90 ap. JC) répertorie les plantes médicinales.

Le Moyen-âge apporte peu de nouvelles avancées. La théorie des signatures est alors un des principaux systèmes de classification. Considérant que chaque chose porte en son extérieur la « signature » permettant de juger des capacités et forces que celle-ci recèle, chaque végétal, minéral ou animal, selon son apparence, se voit attribuer une fonction, un rôle dans la pharmacopée.

La Renaissance : la nomenclature binominale

A partir de la Renaissance, le principal courant de pensée amène à l’étude de l’ordre régissant la Nature. C’est ainsi que la science et la religion se retrouvent intimement liées. En effet, chaque être vivant est le fruit de l’œuvre du « Créateur », chaque espèce a été créée de façon divine lors de la Genèse et ne peut pas évoluer. La vision du monde est dite fixiste.

Avec l’exploration de nouveaux continents, de nouvelles espèces sont découvertes. Elles seront, au fil du temps, introduites en Europe.

La nette augmentation des connaissances rend nécessaire le développement de la classification. Celle-ci demeurant essentiellement destinée à la botanique, les plantes étant surtout utilisées à des fins médicales, la création de nombreux jardins médicinaux et botaniques permet l’étude des végétaux à grande échelle.

Vers 1530, Luca Ghini (1490-1556) met au point une méthode de séchage et de conservation d’échantillons de plantes : l’herbier. Ce procédé permet alors d’étudier la botanique quelle que soit la saison. Couplées à l’essor de l’imprimerie ainsi qu’au progrès artistique, ces collections d’espèces permettent de rendre accessible à tous la connaissance des différentes plantes.

Reprenant les travaux de Théophraste, Andrea Cesalpino (1519-1603), élève de Ghini, répertorie dans le « De Plantis Libri XVI » 1500 plantes divisées en 32 groupes dont les ombellifères et les composées.

Par la suite, de nombreux naturalistes et botanistes participèrent au développement de la dénomination des espèces. Guillaume Rondelet (1507-1566) est le premier à utiliser la nomenclature binominale. Toutefois, le nombre d’espèces répertoriées étant de plus en plus important, leur classement nécessite de leur attribuer des noms de plus en plus longs.

Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708) réfute le regroupement des espèces en fonction des caractères extérieurs à leur organisme (par exemple : habitat, utilité médicinale…). Il propose donc de limiter la classification uniquement aux traits physiques réels de chaque espèce et, de ce fait, d’en regrouper plusieurs selon la similarité de leurs caractéristiques. Il présente aussi l’idée de réunir certains genres en classes.

Nomenclature binominale
Ce système de dénomination consiste à désigner chaque espèce par une combinaison de deux mots. Le premier, le nom générique, définit le genre. Il est suivi indissociablement de l’épithète spécifique, définissant l’espèce au sein du genre. Invariablement, le nom générique prend une majuscule, l’ensemble est latinisé, s’écrit toujours en italique dans un texte en typographie romaine et inversement.
Par exemple, la nomenclature binominale du Cheval est Equus caballus.

Le Siècle des Lumières : la classification classique

En 1735, Carl von Linné (1707-1778), se base sur les critères morphologiques et anatomiques de chaque organisme. Il catégorise le vivant par classes, ordres, familles, groupes, espèces en complément du règne et de l’embranchement. Dès 1758 il systématise, au travers de ses livres Systema naturae et Species plantarum, la nomenclature binominale. Ces deux systèmes sont toujours actuels.

En botanique, Bernard de Jussieu (1699-1777) développe un système de classification des plantes. Il divise, dans un premier temps, les espèces végétales à fleurs en monocotylédones et en dicotylédones puis les regroupe en famille selon leurs affinités morphologiques. Système que développera par la suite son neveu Antoine-Laurent de Jussieu (1748-1836).

Dès la fin du dix-huitième siècle, la classification de Linné est remise en question. En étudiant l’organisation interne des animaux, Cuvier propose sa vision du monde animal. Il utilise en premier lieu l’agencement du système nerveux pour diviser le monde animal en quatre embranchements, Mollusques, Radiaires, Articulés, et Vertébrés. Il utilise par la suite les autres systèmes du corps (système digestif, respiratoire…) placés sous la dépendance du système nerveux toujours selon l’idée qu’il existe une hiérarchie entre eux pour établir la classe, l’ordre, etc.

L’ère moderne : vers la thèse évolutionniste

Dans Philosophie zoologique paru en 1809, Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829), créateur de la biologie, expose la théorie du transformisme posant les bases de la théorie de l’évolution. Selon lui, les êtres vivants les plus simples se transforment au fil des générations en organismes de plus en plus complexes. Cette théorie s’explique par deux lois principales, l’une étant que l’usage ou non d’un organe entraîne la modification de l’organisme, l’autre indiquant que les caractéristiques acquises par les parents se transmettent à leur descendance.

Cinquante ans plus tard, Charles Darwin (1809-1882), avec la participation d’Alfred Wallace (1823-1913), met au point la théorie de l’évolution par la « sélection naturelle ». Il explique ainsi que les ressemblances et différences entre les espèces sont le fruit de l’évolution et de la transformation nécessaires à l’adaptation de chacune d’entre elles à son environnement. Sa théorie repose sur les trois principes suivants :

  • Le principe de variation selon lequel il existe une variabilité entre des organismes de la même espèce. Ces variations sont en partie dues à la différence de leur patrimoine génétique individuel.
  • Le principe d’hérédité dans lequel les variations peuvent se transmettre à la descendance lors de la reproduction sexuée.
  • Le principe d’adaptation selon lequel les individus les plus adaptés à leur environnement vont survivre et se reproduire davantage, poussant ainsi chaque espèce à évoluer en permanence au fil du temps.

Darwin introduit aussi le concept de « généalogie des espèces » selon lequel les caractéristiques d’une espèce sont héritées d’un ancêtre commun. Il en trace une première ébauche par l’arbre de la vie illustrant son livre De l’origine des espèces (1859) qu’Haeckel développera en 1866. Ce concept inspirera plus tard celui de la classification phylogénétique.

À la même époque, le moine et botaniste austro-hongrois Gregor Mendel (1822-1884) publie ses lois de la transmission de l’hérédité, connues sous le nom de « lois de Mendel ». Bien qu’ayant eu connaissance des travaux de son contemporain, Darwin ne leur accorda pas d’importance.

La théorie de l’évolution et la génétique coexistèrent pendant de nombreuses années. Ce n’est qu’au début du vingtième siècle, avec la redécouverte des travaux de Mendel, que les scientifiques firent le lien entre ces deux disciplines qui allaient à présent se compléter et s’enrichir mutuellement. Ainsi la variabilité entre individus d’une même espèce pouvait être conçue comme une variation des allèles composant un gène codant un caractère spécifique. La sélection naturelle favoriserait la transmission de ce gène à la descendance.

L’ère contemporaine : les apports de la génétique

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, un groupe de scientifiques va rassembler plusieurs théories biologiques du siècle précédent, sous le nom de théorie synthétique de l’évolution. Cette théorie incorpore notamment les lois de Mendel, la génétique des populations et les travaux de Darwin sur la sélection naturelle. Connu aussi sous le nom de théorie néodarwinienne de l’évolution, ce modèle scientifique est resté dominant jusque dans la seconde moitié du vingtième siècle. Par la suite, la montée en puissance de la biologie moléculaire et l’amélioration des techniques de séquençage permirent d’approfondir les théories en place et d’affiner les différentes classifications.

En 1962, le biochimiste américain Linus Pauling (1901-1994) et le biologiste austro-américain Emile Zuckerkandl (1922-2013) proposent une hypothèse selon laquelle les mutations génétiques au sein des espèces s’accumulent à un rythme constant au cours du temps, permettant ainsi de calculer le moment où deux espèces ont divergé. De ce fait, l’utilisation des données génétiques voit arriver une nouvelle manière de classer. Désormais, la science va se baser sur une méthode de similitude génétique apportant un affinement de la classification des espèces. Ainsi, grâce aux études du zoologiste et biologiste marin français Édouard Chatton (1883-1947), les organismes vivants furent divisés en deux groupes majeurs : les Procaryotes (les bactéries et les archées) et les Eucaryotes (les organismes possédant des cellules à noyaux).

Un peu plus tard, l’écologue et botaniste américain Robert Harding Whittaker (1920-1980), propose de regrouper les champignons jusqu’ici considérés comme des végétaux dans un règne distinct et classe de ce fait le monde du vivant en cinq groupes :

  • Protista (Protiste, organisme unicellulaire)
  • Monera (Monère, bactérie)
  • Fungi (Champignon)
  • Plantae
  • Animalia


Système d’organisation du vivant par R. H. Whittaker
P.Brieux CC BY-SA 4.0

En 1977, le microbiologiste américain Carl Richard Woese (1928-2012) développe une technique d’analyse phylogénétique qui lui permet de découvrir un nouveau domaine : les Archées, micro-organismes unicellulaires procaryotes, mais qui, à la différence des bactéries, ne possèdent pas d’organites.

Aujourd’hui : la phylogénétique

De nouvelles approches théoriques et expérimentales ont permis la récente explosion des recherches sur l’évolution et la classification, pour aboutir à la classification que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de classification phylogénétique. Cette classification, dont les bases ont été posées par l’entomologiste allemand Willi Hennig (1913-1976) repose sur le principe du regroupement des organismes qui dérivent d’un même ancêtre commun selon les caractères qu’ils partagent plutôt que selon l’absence de caractères partagés, principe autrefois privilégié des scientifiques.

Auteur : Cédric Daguet

Sources :
Biologie, Les manuels pour la licence, édition Dunod, 2018

Classification botanique et nomenclature : une introduction. Marc S.M. Sosef, Jérôme Degreef, Henry Engledow & Pierre Meerts – Meise, édition Jardin botanique de Meise, 2020.

Une histoire de la classification des êtres vivants

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